Jusqu’au dernier souffle

Par Audrey M-G

Depuis des années, le milieu hospitalier connaît une crise sans précédent sans qu’aucun gouvernement n’écoute ni de pallie au manque cruel de personnel, n’améliore les conditions de travail, n’augmente les budgets alloués à la santé ou n’arrête de supprimer des lits. Si la pandémie a largement accentué les différents problèmes auxquels sont confrontés les soignants et les travailleurs du monde médico-social, ceux-ci ne datent pas d’hier. Le Covid-19 a servi de catalyseur. Les acteurs de la Santé n’ont eu de cesse d’alerter sur les conséquences dramatiques que cette politique de coupes budgétaires allaient avoir sur leur mission mais aussi, plus largement, sur les populations.

Crédit photo : Audrey M-G

Au tout début de la crise du Covid-19, France Assos Santé faisait état des situations inédites et de ses préoccupations quant aux conditions d’accompagnement de fin de vie et des impacts inhérents à ce contexte sanitaire. En plus des choix qui s’opéraient dans l’accès aux soins en fonction de critères pas toujours clairs, ni compris, les inégalités sociales, territoriales, liées à l’âge, au degré de vulnérabilité (physique, psychique, social) sont renforcées.

Les conditions actuelles accompagnant la fin de vie sont d’une grande violence pour les malades, leurs proches et les équipes soignantes. À domicile, les familles se retrouvent plus isolées, doivent suppléer aux manques d’accompagnements, au déficit de matériels ou de médicaments, et se sentent très démunies et très angoissées. L’accès à des soins médicaux élémentaires et infirmiers de proximité, de kinésithérapies est plus difficile, voire impossible. Les auxiliaires de vie se déplacent moins voire plus dans certains cas.

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Marsais. Petite commune rurale du sud-ouest de la France. 930 habitants. Des fermes, des champs, une église, une mairie, un gîte. C’est ici, chez son fils, que Mme C., 86 ans, trois cancers, deux remissions et un AVC (Accident Vasculaire Cérébral), vit ses derniers jours. La chambre d’amis s’est peu à peu transformée en hospitalisation à domicile version système D. Des alèses, des changes, des produits d’hygiène trouvés dans des super marchés. Un fauteuil roulant récupéré sur un site de seconde main. Des médicaments qui s’amoncèlent sur une table de nuit. Un matelas anti-escarre acheté en urgence sur le net. Et tous les matins, la même angoisse, sera-t-elle toujours en vie? Oui. Alors la même routine recommence. Un bonjour, quelques gorgée d’eau avalées non sans mal, des paroles réconfortantes, des exercices de psychomotricité appris sur le tas et la journée d’apprentis infirmiers/aide-soignants/auxiliaires de vie commence pour les enfants de Mme C. Faute de personnel soignant dans les environs, ils font la toilette de leur mère par leurs propres moyens, soigneusement, avec précaution pour ne pas la faire souffrir. Une fois cette étape délicate passée, il faut l’habiller et la porter dans son fauteuil roulant pour qu’elle « ait un minimum de repère temporel. Le lit, c’est pour dormir la nuit, le fauteuil, c’est pour qu’elle sente qu’elle passe la journée avec nous. »

Désert médical à Marsais

Mme C. ne parle plus ou presque. Sa petite voix fluette s’évanouit dans un soupir tant elle est à bout de force. Elle n’arrive plus à déglutir non plus. Elle n’a rien mâché depuis des semaines et seules les soupes, les tisanes sucrées et l’eau la maintiennent. Ils ne savent plus quoi ni comment faire pour lui apporter des nutriments essentiels alors ils tentent les boissons hyper caloriques. Sans grand succès. Elle rendra tout le breuvage dans la nuit.

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Il y a une liste interminable de médecins dans les environs. « Les environs », comprendre à des dizaines de kilomètres minimum du domicile. Une journée à tenter de les joindre. Lorsqu’ils y arrivent, ils essuient des refus faute de temps, de créneaux, les médecins ne se déplacent plus et aucune auxiliaire de vie n’est disponible aux alentours. À la campagne, la « ville » la plus proche se situe à 20min en voiture et le seul médecin de ville n’effectue plus de visite à domicile, il est trop occupé avec le plan blanc, les vaccins, les rappels, les tests, les arrêts maladie etc… Les CHU de La Rochelle et de Poitiers ne peuvent pas la prendre ne charge pour diverses raisons et variées: « sur une échelle de 0 à 10, si elle souffre à 11, appelez-nous ». Sauf que Mme C.ne montre pas de signe de douleur. Elle reste paisible à l’idée de finir ses jours entourée de ses enfants et de sa petite fille, comme elle l’a toujours souhaité.

Crédit photo : Audrey M-G

Pour respecter ses dernières volontés, les enfants de Mme C.ont dû faire des choix. Sa fille aînée s’est arrangée avec son employeur parisien qui a tout à fait compris la situation et n’a pas hésité à tout mettre entre parenthèse pour être auprès de sa mère. Son fils cadet a obtenu une réduction d’horaires impliquant une baisse de salaire significative. Entre ses horaires de travail, la garde partagée de sa fille et s’occuper de sa mère sans aide, « ce n’était plus gérable, et ça mettait ma mère en danger ».

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Dans la journée, ils répètent les mêmes gestes, les mêmes phrases, inlassablement. La nourrir à la petite cuillère, la faire boire de la même façon. Le moindre gémissement fait tressaillir. « Maman, tu as mal quelque part? ». Une fois, deux fois, trois fois, doucement pour ne pas la brusquer en attendant que l’information soit traitée par le cerveau. Quelques minutes plus tard, Mme C. fait signe de la tête que non, elle n’a pas mal. Comme par réflexe, fait elle-même quelques exercices avec ses bras, elle tente péniblement de les lever comme pour soulager ses enfants et leur montrer qu’elle peut encore faire des choses par elle-même. La réalité, c’est que son coeur est trop faible pour pomper et le retour sanguin ne se fait pas ou trop peu. Ses mains et ses pieds virent du rosé au violacé et les extrémités noircissent. Toutes les quinze minutes, il faut lui activer la circulation faute de quoi, ses membres s’ankylosent. « Voir sa mère diminuer de la sorte, être constamment en alerte et se sentir totalement impuissante et démunie face à ça, c’est très violent. Mais il faut qu’on tienne jusqu’au bout, alors on va continuer à composer au mieux pour elle » raconte l’aînée. « L’inquiétude vous ronge toute la journée, heureusement que je vois les collègues la journée, le travail me permet d’occuper mon esprit à autre chose.» confie son fils. La charge mentale reste très lourde à porter.

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Ce soir, Mme C. n’aura avalé que deux cuillères de soupe. Il est temps d’aller la coucher. Ils reprennent la routine du soir. Des paroles douces, il faut prendre le temps nécessaire pour la rassurer et la porter dans le lit. Quelques petits exercices pour délier ses membres. Pour la changer, il faut la mettre sur le côté et refaire une toilette intime pour qu’elle puisse passer la nuit« au propre ». Elle est de plus en plus fragile et très amaigrie. Seulement voilà, malgré les traitement préventifs, un escarre s’est ouvert. Ils regardent sur internet ce qui est préconisé, ils font des captures d’écran pour montrer au pharmacien ce dont ils auraient besoin. Demain, il faudra prendre le train de bonne heure pour aller à La Rochelle chercher ce qu’il faut, parce que la pharmacie « du coin » n’a pas grand chose ou il faut commander les traitements. Mais le temps manque cruellement. Ils pansent la plaie béante comme ils peuvent. Au bout d’une trentaine de minutes, la voilà prête pour dormir. Ils restent à ses côtés le temps qu’elle ferme les yeux. Elle leur murmure dans un dernier souffle: « bonne nuit, je vous aime, à demain ». Chacun dépose un baiser sur son front, un dernier regard rempli de chagrin, de bienveillance, d’amour, de peur, de fatigue. « Bonne nuit maman, à demain ».

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Malgré des conditions sanitaires délétères, Mme C. a tout de même la chance de pouvoir voir ses dernières volontés exaucées. Malgré tout, l’isolement est plus important qu’en temps normal. Pour les personnes les plus précaires avec des conditions de vie dégradées, le risque de décéder seul, à domicile ou dans la rue sans soins ni accompagnement médical est accru.

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En plus des conditions de travail des diverses corps de métier du milieu hospitalier, de la suppression de 5300 lits en 2020 et un milliard d’euros subtilisés aux hôpitaux, alors même que le pass vaccinal a été voté par le Sénat, l’éthique et la démocratie en santé devraient pourtant être des points cruciaux à prendre en compte. Que ce soit d’un point de vue individuel ou collectif, en portant une attention particulière aux publics les plus vulnérables. Le profit et la gestion ubuesque et liberticide de la pandémie sous le gouvernement Macron laissera des séquelles irréversibles quant à la prise en charge et l’accès aux soins les plus élémentaires des patients.

Audrey M-G

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