Portrait du Dr Kamel Mohanna, la Résistance Humanitaire

Fondateur et Président de l’association AMEL International, en lice pour le Prix Nobel de La Paix, le Dr Kamel Mohanna a dédié sa vie aux plus démunis avec comme ligne de conduite le respect et la dignité humaine.

Beyrouth, le 10 Novembre 2022. Portrait du Dr Kamel Mohanna, pédiatre de formation, fondateur et président de l’association AMEL International, en lice pour la 7ème année consécutive pour le Prix Nobel de La Paix (Audrey M-G pour Les Répliques).

Le Dr Mohanna impose le respect. Une élégante aura se dégage de sa personne. Son regard, pétillant et réfléchi, traduit son humilité et sa malice. Mais il sait ce qu’il veut, ce pourquoi et dans quoi il s’est engagé sans concession, près de 60 ans plus tôt, aux côtés des plus vulnérables, les « mis de côté », les écartés du système.

« Je n’ai pas la langue dans ma poche. Il faut dire les choses haut et fort mais je le fais à ma façon. On dit de moi que je coupe les têtes avec un fil de soie» s’amuse-t-il. Effectivement, lorsqu’on lui demande de nous définir ce qu’est l’engagement humanitaire pour lui, chaque mot qu’il emploie reflète son inébranlable dévouement, ses convictions inaltérables et la détermination avec laquelle il livre ses batailles. Le tout avec une sincérité affirmée, sans chichis ni fioritures.

« L’engagement humanitaire, c’est être auprès des autres, en-dehors de leur appartenance politique, géographique et religieuse. »

Dr Mohanna

En 1976, un an après le début de la guerre civile au Liban, il fonde avec des citoyennes et citoyens libanais l’association humanitaire “Najdeh” qui a pour vocation l’amélioration des conditions de vie des habitants des camps palestiniens du Liban et installe des dispensaires et des centres médicaux d’urgence. Né à Khiam (Sud-Liban), au carrefour des frontières libanaises, syriennes et palestiniennes, la situation de son village, profondément marqué par la Nakba (le premier exode des Palestiniens en 1948), le confrontera très tôt à l’occupation, au sort des Palestiniens qui viendront se réfugier au Liban à la suite de la création de l’État d’Israël. Sa propre maison sera la première détruite avant son village tout entier. Du drame que vivent les familles palestiniennes nait son désir de devenir médecin, et devient la source intarissable de sa révolte contre les injustices. La création de cette première structure humanitaire est, non pas une vengeance, mais une revanche. Pour que personne n’ait à vivre ce qu’il a vécu, son but premier est d’assurer un avenir meilleur en travaillant d’égal à égal, main dans la main.

L’association socio-médicale AMEL nait en 1979, suite au massacre de 55 habitants de Khiam qui refusaient l’exode (majoritairement les personnes âgées) par les forces d’occupation israéliennes. En fondant cette association, il met l’être humain au coeur de ses actions :

« L’être humain est le centre et le but d’AMEL. En occident, le mot humanitaire résonne avec urgence, or, en arabe, humanitaire se dit insani et nas se traduit par les gens, ces mots ont cette même racine étymologique bien ancrée dans notre culture ».

L’association Amel s’investit alors dans une série de projets de dispensaires, de centres médicaux, d’hôpitaux de campagne, de maternités, de centres de protection maternelle et infantile et de centres de réhabilitation pour personnes atteintes de handicap physique dans les régions les plus déshéritées : banlieue-sud de Beyrouth, Bekaa et Sud-Liban. Plus de 24 centres sont ouverts afin de répondre à l’objectif premier de l’association et ont permis de sauver des milliers d’enfants, des blessés de guerre et des malades.

Fort de son expérience sur le terrain et de son engagement, le Dr Mohanna a fait d’AMEL la première association locale à se développer à un niveau international en étroite collaboration avec diverses structures et organisations dans le monde entier. Il le dit et le répète sans cesse :

« Il s’agit d’un travail d’équipe! Il ne faut oeuvrer que pour la dignité humaine avec une vocation personnelle et un travail collectif, il n’y a que comme cela que cela peut fonctionner. Il faut apprendre à dire NOUS et non plus JE en appliquant les trois P: Principe (NOUS réfléchissons) – Position (NOUS affirmons) – Pratique (NOUS agissons. Agir sur le terrain, c’est agir par solidarité et non par charité en incluant toutes les couches de la société sans distinction ».

C’est ainsi qu’il renforce les amitiés, qu’il rallie les désintéressés à la cause et qu’il déroute les ennemis.

En refusant tout système hiérarchique, en bannissant l’idée même de « service » et en sélectionnant ses partenaires sans jamais se détourner de ses convictions, le Dr Mohanna transgresse et bouscule les codes humanitaires :

« Ne jamais rien vouloir ni attendre de personne ni de quoique ce soit, cela rend inévitablement plus fort. Il faut accepter de tout abandonner, de tout laisser, de ne rien avoir à gagner ni à perdre ».

Il cite son ami Bertrand Badie, auteur de Quand le Sud Réinvente le Monde, pour rappeler que l’agenda international se règle aujourd’hui sur les urgences sociales, sanitaires ou démographiques. Or, toute intervention de puissance se solde aujourd’hui par un constat d’échec. Ceci s’explique en partie parce que tout repose sur le matériel, le profit, de façon systémique. La privatisation ayant pris le dessus sur l’État Providence, les Nations Unies ont échoué dans leur mission de protection des civils. En réduisant la définition des ONG à la société civile et si l’on prend en compte le simple fait que 0,8% de la population détient 80% des richesses du monde, comment mettre en place une justice sociale si cette même société ne se bat pas contre la capitalisation des valeurs? Les fossés socio-économiques ne font que se creuser davantage et l’humanitaire, qui devrait mettre au centre de ses actions l’humain, devient de ce fait, un « charity business » La question se pose alors: comment mettre en place une justice sociale si l’humain n’est plus au coeur du débat?

Le Dr Mohanna n’en dérogera pas : en travaillant pour une idée, pour cette idée que l’humain doit remplacer le profit, avec compassion et modestie, AMEL offre ainsi un modèle universel de changement profond des mentalités et des pratiques observées sur le terrain. Pour se faire, cette révolution humaniste passe par le droit à la parole et particulièrement celui de la femme. Sans sa participation, il n’y a pas démocratie possible. Elle passe par une abolition de la différenciation des pays du Nord dits « riches » et du Sud dits « pauvres » en les stigmatisant, par un partage obligatoire des richesses et la construction d’un État de justice sociale, par la défense du climat inhérent à de meilleures conditions de vie en « décarbonnant » le monde et la cause primordiale des peuples opprimés notamment celle de la Palestine qui doit être portée universellement. La décolonisation de l’humanitaire est également une étape importante dans cette nouvelle approche. Il faut intégrer le fait qu’il faille travailler en tant que partenaires avec les populations concernées et non comme tuteurs, imposant des dogmes formatés totalement éloignés des différents contextes socio-culturels. Une feuille de route à s’efforcer d’appliquer dans une unité et une volonté globale. AMEL International catalyse cette pensée pour aller vers ce qu’il y a de plus juste en menant cette « Révolution de la Dignité Humaine ».

Le quartier général de AMEL Association International, rue Abou Chakra à Msaytbeh, Beyrouth, le 10 Novembre 2022. (Audrey M-G pour Les Répliques).

Une responsabilité lourde à porter certes, mais le Dr Mohanna a l’habitude. Issu d’une famille modeste du Sud-Liban, élevé dans une fratrie de 6 garçons et 5 filles, très tôt il a dû assumer de lourdes responsabilités et notamment celle de réussir. À l’époque, aller étudier à l’étranger lorsque l’on est issu d’une famille modeste est loin d’être chose commune. Son père, marchand de bétail, découvre par hasard en Syrie que les enfants sont envoyés à l’USJ (Université Saint Joseph) pour étudier. À force de faire des piqures et des pansements, il choisit la médecine après avoir fréquenté les écoles publiques de Saida. Son père vend alors un morceau de terre pour l’envoyer en France faire ses études. Quand on lui demande d’où lui vient ce sens des responsabilités, il répond simplement :

« Il fallait être à la hauteur ».

Une vie qui ne l’aura épargné ni physiquement ni moralement, marquée par l’oppression et la souffrance, mais qui pourtant lui aura donné la force et la volonté de défier le système structurel et arriviste libanais fortement ancré. Rejetant toute prise en compte de l’appartenance identitaire, il crée ainsi un modèle de changement radical dans la prise en charge, l’accueil et l’insertion des réfugiés de tout horizon :

« AMEL est totalement indépendante du fait de son acceptation et son respect par toutes et tous et n’a besoin d’aucune aide politique ni confessionnelle pour exister et/ou être reconnue.»

À l’instar de son idole, le Che, il a accepté de tout vendre, de ne rien attendre en échange et de vivre de manière austère, toujours dans une humilité et une abnégation la plus absolue. Exposer ses actions pour en tirer une quelconque médaille ou un quelconque bénéfice, ce n’est pas son histoire.

Pour assurer une situation meilleure que celle qu’il a connu jeune et des perspectives d’avenir à celles et ceux qui n’en ont plus faute d’espoir.

« Il faut croire en ce que l’on fait, avoir de l’empathie, de la compassion, aimer les gens, leur faire confiance, ne pas émettre de jugement, avoir une vision, une stratégie et une équipe fiable et digne. Avec tout cela, vous êtes invincible ».

Créée dans l’urgence, AMEL se développe à grande échelle à tous les niveaux et porte ses fruits :

« On avance, c’est cela qui donne de la force » déclare le médecin avant d’ajouter: « Le leadership est un travail d’équipe. Un vrai leader c’est celui qui crée des leaders et à AMEL, on a 1400 leaders dont 85% de femmes » sourit-il.

Dr Kamel Mohanna, Beyrouth, le 10 Novembre 2022. L’humain, la dignité et l’humilité, leçon d’un bouleversement humanitaire. (Audrey M-G pour Les Répliques).

Une synergie contagieuse. Présente en France, en Belgique, en Suisse, en Italie, aux États-Unis et en Côte d’Ivoire en autres, AMEL compte à présent 32 centres médicaux-sociaux, 6 cliniques mobiles, 2 unités mobiles d’éducation et une unité de soins dédiée aux enfants des rues. 9 programmes sont également mis en place (Maison Amel des droits de l’Homme, Protection de l’enfance, Préparation et Réponse aux situations d’urgence, Formations et activités génératrices de revenus, Soutien aux travailleurs domestiques migrants et victimes de trafic humain, Santé primaire, Soutien aux réfugiés, Autonomisation des jeunes et volontariat, l’Éducation) avec pour même objectif le respect des Droits humains, économiques, civils, culturels et sociaux de chacune et chacun et contribuer à l’émergence d’un État civil fort et engagé avec une approche participative afin de favoriser le changement social.

Pour la 7ème année consécutive, le Dr Kamel Mohanna, a été nominé pour obtenir le prix Nobel de la paix. Un prestigieux prix qui doit avant tout remettre à l’ordre du jour les principes de solidarité et de dignité de l’homme. Un combat qu’il mène sans relâche avec une constante ferveur et un dynamisme galvanisant. Une vitalité qu’il puise pareillement auprès de ses 300 neveux et nièces qui font qu’il ne cesse de se sentir jeune. Mais aussi dans ce trait d’humour qu’il le caractérise tant, ne pouvant finir un entretien sans glisser une petite blague:

« Adam et Eve sont Libanais, pourquoi? Ils vivaient sans eau, sans électricité, ils volaient des pommes et ils croyaient vivre au paradis ».

Un immense merci à Zakia, Coordinatrice d’AMEL Association International qui a pu rendre cet entretien possible.

Un immense merci au Dr Mohanna pour son temps et sa confiance.

Un immense merci aux équipes d’AMEL Association International pour leurs actions au quotidien au Liban et ailleurs dans le monde.

https://amel.org
@amelassocation
Faire un don à l’association : https://www.gofundme.com/f/emergency-fund-for-lebanon?

Audrey M-G.

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