Platz de La Bergère : quand le Loup de Seine-Saint-Denis veut souffler sur la maison des Rroms

Platz de la Bergère, le 10 décembre 2022. Niché en plein coeur du parc de la Bergère à Bobigny, ce lieu de vie informel accueille près de 90 personnes de la communauté Rrom en attente du résultat de leur demande de réexamen de la décision ordonnant leur expulsion sans délais. (Audrey M-G pour les Répliques).

Alors que la trêve hivernale est entrée en vigueur le 1er novembre, les familles du Platz de La Bergère, à Bobigny (93), sont menacées d’expulsion et vouées à une errance infernale en plein coeur de l’hiver par le département de la Seine Saint Denis (93). Le terrain appartenant au domaine public selon le propriétaire, la trêve hivernale est abrogée.

Les températures frôlent les 0°C. L’arrêt de métro Bobigny-Pablo Picasso marque la fin de la ligne 5. Il faut affronter un monstre de béton et de structures métalliques géantes avant de traverser une voie de tram sans signalisation pour trouver la lisière du Parc de La Bergère. Un parc immense logé au coeur de la Seine Saint Denis, département déclaré comme le plus pauvre de France. Les couleurs des arbres et le bleu du ciel feraient penser à une belle journée d’automne. Pourtant, peu d’âmes s’y perdent et les feuilles mortes presque gelées rappellent que l’hiver s’est bien installé. Au bout d’une bonne demi heure de pérégrinations, des flèches roses sortent de nulle part telles les traces de pattes du lapin d’Alice aux Pays des Merveilles et indiquent un chemin à découvrir. Peu importe où il mène. Le temps presse, il faut le suivre. Du chemin de terre, nous arrivons à un chemin de béton. Trois silhouettes frêles ouvrent la voie et se dirigent vers des tôles ondulées anonymes. Nous y sommes. C’est le Platz de La Bergère. 

Situé sur l’ancienne crèche départementale du parc de la Bergère, le communément appelé bidonville de « la Bergère » abrite près de 90 personnes de la communauté Rrom survivant tant bien que mal sur ce lieu de vie informel depuis 4 mois. Chantier laissé à l’abandon, seul son socle pouvait laisser présager d’une quelconque présence humaine par le passé. Ainsi, Florentina, son époux, ces cinq enfants et une vingtaine d’autres familles ont décidé de s’y installer pour fuir la violence de la rue et offrir un semblant de stabilité à leurs enfants pour leur assurer une scolarité pérenne et un avenir plus prometteur que celui qui leur est injustement assigné . Seulement voilà, le département de la Seine Saint Denis ne l’entend pas de la même oreille et argue une certaine urgence et un potentiel danger pour les faire expulser du terrain.

Florentina I.plaide sa cause devant le Tribunal Administratif de Montreuil, le 9 décembre 2022. Les expulser mettrait en danger leurs enfants en les exposant à la violence de la rue. (Audrey M-G pour Les Répliques).

Le premier jugement d’expulsion avait été ordonné le 18 novembre dernier sous un délais de cinq jours. M° Crusoé, mandaté par les familles, avait introduit une requête pour demander le réexamen du dossier. L’expulsion étant imminente, un recours contre l’octroi de la force publique avait été déposé mais rejeté. Avec le soutien de l’association la Voix des Rroms, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a été saisie pour réclamer des mesures provisoires. Cette dernière a tranché en faveur des habitant.e.s du Platz de La Bergère, obligeant ainsi la préfecture à suspendre toute mesure d’expulsion en attendant le délibéré du Tribunal Administratif de Montreuil. Il est 15:00. Devant ce même tribunal, femmes, hommes, enfants et soutiens sont au rendez-vous pour une nouvelle audience qui déterminera leur sort. Leurs demandes de logements sociaux et d’innombrables démarches administratives sont restées lettre morte. Le département de Seine Saint Denis étant saturé, il lui est impossible de leur pourvoir une solution de relogement pour le moment comme a alerté InterLogement 93. En toute connaissance de cause, l’avocat du propriétaire du terrain appartenant au domaine public, soutient pourtant que l’expulsion doit avoir lieu en urgence pour des raisons de sécurité et sanitaires. Pour lui, les risques liés à cette occupation la rendent dangereuse et pour les familles et pour les riverains prétextant des installations hors norme et l’insalubrité des lieux. La mairie de Bobigny a pourtant été de nombreuses fois sollicitée pour installer des points d’eau et des sanitaires ainsi que pour organiser une collecte des déchets. Aucune réponse et l’ONG Solidarité Internationale en a rendu compte sur place: aucun accès à l’eau potable ni toilette n’ont été implantés. Les habitants se débarrassent eux-même des déchets à la décharge moyennant finance en plus d’avoir entièrement nettoyé le dit terrain sur lequel jonchaient ordures ménagères, débris de verre et seringues avant leur installation. Quant aux équipements, un commissaire de justice a pu certifier que l’argument était irrecevable aux vues du caractère non vétuste des réchauds et poêles utilisés pour le chauffage et la cuisine.

La Seine Saint Denis ferait donc prévaloir l’ouverture d’un nouveau chantier d’aménagement public sur l’errance systématique sur laquelle déboucherait cette expulsion. La violence de la rue, l’instabilité précaire et la dureté de l’hiver ne semblent pas toucher ni le département ni la mairie qui se défaussent sur l’État, responsable des mises à l’abri. Les baraques sont spartiates mais il y fait bon y vivre. Un grand lit, un réchaud, une petite table, un joli tapis et des voilettes aux fenêtres pour décorer, la « maison » de Florentina est douillette. La plus petite dort paisiblement pendant que sa maman tient à me re-préciser: « nous ne voulons pas rester ici, nous on veut uniquement une petite chambre sûre pour nos enfants, pour qu’ils aillent normalement à l’école et qu’ils puissent avoir un avenir meilleur. Pas dans la rue à mendier ou voler. » La veille déjà, elle insistait sur son désir d’intégration. Son époux travaille, ses enfants étaient inscrits à l’école à Épinay d’où ils ont été aussi expulsés 8 mois après leur installation. Les conséquences? Des enfants traumatisés, des dépressions à répétition, des crises d’angoisse, du diabète et des crises d’eczéma aiguës déclenchés par le stress. Florentina est enceinte de 14 semaines. Ce petit brin de femme n’hésite pourtant pas à rappeler avec ferveur qu’ils sont européens aussi et qu’ils ont des droits comme tout le monde. Outre la stigmatisation et l’anti-tsiganisme dont ils sont constamment et historiquement victimes, elle ne peut plus supporter cette situation: « ils jouent avec nos enfants en faisant ça. Si on ne nous donne pas les moyens, comment voulez-vous qu’on s’en sorte? ».

L’intérieur de la baraque de Florentina, Platz de la Bergère, Bobigny, le 10 décembre 2022. Un petit espace certes mais il y fait chaud et la petite dernière peut profiter de sa sieste en toute quiétude. (Audrey M-G pour Les Répliques).

Une de ses amies  explique aussi que lors d’une précédente expulsion, le relogement en hôtel avait été prévu sans tenir compte de la situation scolaire et personnelle des familles. Son fils devait faire  trois heures de transport pour aller à l’école et s’effondrait de fatigue en classe. Elle-même avait dû quitter son emploi parce qu’elle ne pouvait plus jongler entre l’emploi du temps de ses enfants et celui de son travail. De toute façon, cette solution n’avait duré que trois jours. La rue les avait attendus sournoisement.  

En dépit des faits, la Seine Saint Denis, par le biais de son avocat, se borne à dire que les expulsions débouchent systématiquement à des relogements et persévère dans cet argument affabulé pour presser l’évacuation du Platz. Froidement et sans tenir compte de la situation personnelle de Florantina, de ses enfants et de ses voisins, le 93 ferme les yeux sur l’unique solution qu’il leur reste pour tenir cet hiver et au moins fêter Noël au chaud en famille, « sous ce toit, certes fragile, mais un toit tout de même ».

En l’absence de calendrier de travaux et de relogement, l’injonction d’expulsion ne peut être maintenue face à la réelle urgence humanitaire dont dépendent les habitants du Platz. Un nouveau délais adapté aux requérants comme aux administrations et structures compétentes a été demandé par M° Crusoé afin qu’une solution pérenne et adéquate soit trouvée pour les deux parties et pour préserver aussi la dignité et les liens établis entre les acteurs sociaux et les habitants du Platz, assurant ainsi leur suivi et renforçant leur intégration. Le jugement devrait être rendu en début de semaine.

Florentina nous accueille chez elle avec sa petite dernière qui se réveille à peine d’une petite sieste, le 10 décembre 2022, Bobigny. Enceinte de 14 semaines, l’angoisse de la situation lui provoque des maux de ventre qui pourraient mettre en danger sa grossesse. pourtant, elle n’en démordra pas, elle veut un avenir stable pour ses enfants et les expulser du platz dans ces conditions n’est pas la solution. (Audrey M-G pour Les Répliques).

En attendant, Florentina n’ose pas encore poser son petit sapin de Noël de peur d’avoir à finalement le jeter et de décevoir ses petits qui, dans l’insouciance de leur âge, continuent à jouer et à rire avec les plus grands dans la cour. Une cour qui rêve d’accueillir un miracle. 

Devant le Tribunal Administratif de Montreuil, le 10 décembre 2022. « nous ne voulons pas rester ici, nous on veut uniquement une petite chambre sûre pour nos enfants, pour qu’ils aillent normalement à l’école et qu’ils puissent avoir un avenir meilleur. Pas dans la rue à mendier ou voler. » Florantina I. (Audrey M-G pour Les Répliques).

Audrey M-G.

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Un commentaire sur “Platz de La Bergère : quand le Loup de Seine-Saint-Denis veut souffler sur la maison des Rroms

  1. PIERRE Valérie :

    Il ne faut rien lâcher… C’est tout simplement inhumain, incroyablement affligeant, scandaleux de laisser toutes ces familles, ces femmes, enfants… sans un tel dénouement, une telle misère. Ils ne dérangent pas, ils ne salissent pas… sont et restent respectueux, extraordinaires, gentils, accueillants, et méritent tellement de bienveillance et d’humanité.

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