Jeudi 19 janvier, plus de deux millions de personnes se mobilisaient contre le projet de réforme des retraites engagé par le gouvernement Borne. Alors que les manifestants déferlaient aux quatre coins du pays, le chef de l’Etat se trouvait à Barcelone pour signer un traité de coopération franco-espagnol. Pendant le discours qu’Emmanuel Macron tenait à la communauté française de Barcelone, un homme portant un t-shirt où il était inscrit “Non à votre réforme des retraites” a été rapidement évacué par le service d’ordre. Il a bien voulu répondre à nos questions.
– Bonjour Youssef Hanayen, tout d’abord pouvez-vous nous dire ce que vous faisiez à Barcelone ce jour là ?
Y.H : J’ai été invité par la Présidence de la République à cette réception en l’honneur des français de Barcelone afin de me remercier d’avoir contribué à la bonne tenue des élections présidentielles et législatives de 2022. En effet, j’avais été assesseur du bureau de vote de Gérone, en Catalogne. Je me suis rendu à Barcelone depuis Gérone (où j’habite, travaille et étudie), une des quatre provinces de Catalogne et qui se trouve à une heure de Barcelone, dans la matinée du jeudi 19 janvier et je suis arrivé au lycée Français de Barcelone vers 16h.
– Pouvez vous nous dire ce qu’il s’est passé au moment de votre évacuation ?
Y.H :J’ai dû patienter quelques heures dans la salle polyvalente où Macron devait faire son discours puisque son arrivée a été retardée. J’ai sorti mon t-shirt au moment où l’allocution a commencé, il n’a fallu que 3 ou 4 minutes au service d’ordre présidentiel pour me détecter. Ils sont venus vers moi, m’ont demandé de les suivre car ils avaient plusieurs questions à me poser. Je leur ai dit que j’étais pacifique, que je n’avais rien fait. Ils m’ont quand même escorté en dehors de la salle polyvalente. Après une fouille au corps assez musclée, ils m’ont conduit dans une salle du lycée français qui servait de centre logistique et de quartier général des forces de l’ordre présentes à l’événement. C’est à ce moment là qu’ils m’ont demandé le code de mon téléphone portable que je leur ai donné sans broncher. En effet, je ne voulais pas faire de vagues, le but de mon action politique étant pacifique, et à aucun moment je n’ai souhaité rentrer dans l’affrontement, que ce soit avec le président ou avec les forces de l’ordre. Ils ont décidé de consulter le téléphone et je ne sais pas exactement ce qu’ils ont vu ou pas. Tout ce que je sais, c’est qu’au moment où je reprends possession de mon téléphone, toutes les photos concernant l’action politique que j’ai menée avaient été supprimées. Ils n’ont évoqué aucune raison à cela…
– Vous avez pris la parole ou juste affiché votre t-shirt ?
Y.H : Je n’ai ni pris la parole, ni crié ou interpellé le président. Comme je vous le disais précédemment, j’étais venu pour réaliser cette action politique dans une démarche tout à fait pacifique. C’est pourquoi je suis indigné par la réponse du service d’ordre présidentiel. Comme disait Beaumarchais, “il n’y a que les petits hommes qui craignent les petits mots”…
– Le service d’ordre a t-il été violent avec vous ?
Y.H : Fort heureusement je n’ai subi aucune violence de la part de ce service d’ordre. Ils m’ont simplement fouillé et ont confisqué différents objets personnels pendant l’heure et quart qu’a duré cette détention arbitraire.
– Vous a t-on expliqué les raisons de votre évacuation ?
Y.H : Les policiers français m’ont simplement dit que ce n’était ni le lieu ni le moment pour arborer un t-shirt contenant un message hostile à la réforme des retraites… Les policiers espagnols étaient surpris, c’est dire à quel point ce qui a été fait est une entrave à ma liberté politique dont les fondements sont la liberté d’expression et d’opinion et constitue, d’une manière plus générale, un affaiblissement de notre État démocratique et de droit.
– Vous êtes militant LFI ? Ou avez-vous une fonction dans ce parti ?
Y.H : Je suis militant LFI et ma fonction de co-réferent LFI de la cinquième circonscription des français de l’étranger n’a pas absolument pas de valeur juridique au sein du mouvement. Elle me permet simplement de coordonner des manifestations, des actions politiques ou autre avec les co-réferents des autres groupes d’actions LFI à l’étranger.
– Que répondez-vous à celles et ceux qui parlent de provocation ?
Y.H : Je leur réponds que, comme disait Charb, “En France, la liberté d’expression n’est pas assez utilisée par ceux qui ont les moyens de s’en servir”. C’est une valeur fondamentale de nos sociétés occidentales, démocratiques et libérales. Elle nous vient du siècle des Lumières et est contenue dans l’Article 10 de “La declaration des Droits de l’Homme et du Citoyen”: “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi”. Elle est aussi défendue dans l’Article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne : “Toute personne a le droit à la liberté d’expression, ce droit comporte la liberté d’opinion et la liberté de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir une ingérence d’autorités publiques et sans considérations de frontières”. Je ne vois donc pas ce que j’ai fait de mal. On a le droit d’exprimer une opinion politique sans pour autant être traité de provocateur. Les personnes qui parlent de “provocation” reprennent les arguments des intégristes religieux quand ces derniers évoquent les caricatures religieuses du prophète… Est-ce que c’est le modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre ?
– Pouvez-vous nous dire enfin pourquoi vous êtes contre cette réforme des retraites ?
Y.H : La justice sociale, la défense des opprimés et des plus démunis se trouvent à la base de mon engagement politique et militant. Or, aujourd’hui à l’âge de 62 ans, certaines études affirment que le quart des français les plus pauvres ne sont déjà plus là. Sous le prisme de cette réforme des retraites, ces français auront donc cotisé toute une vie dans l’espoir et l’espérance de toucher une retraite qu’ils n’auront finalement pas l’occasion d’atteindre. Ceci est tout bonnement choquant ! Ce gouvernement fait la poche aux retraités alors qu’il y a des exonérations fiscales que l’on peut revoir, que l’on peut taxer les superprofits ou encore mettre en place des réels mécanismes de lutte contre l’évasion fiscale… Je suis également choqué par le fait que porter des charges lourdes ou respirer des gaz chimiques ne constituent plus aujourd’hui des critères de pénibilité au travail.
Merci Youssef Hanayen.
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