Enquête sur la différence de traitement d’accueil entre les réfugiés Ukrainiens et Palestiniens

Le 24 février 2022, le monde assistait, horrifié, à l’entrée des chars, des avions et hélicoptères de combat russes en Ukraine, provoquant la fuite de milliers de familles ukrainiennes à travers l’Europe. Deux ans plus tard, ces chars restent présents sur le territoire mais les déplacés, eux, n’ont pas eu d’autre choix que de rester loin de leur pays. La France a répondu présente à juste titre. Quelques 115 000 ukrainiens sont arrivés sur le territoire et ont été accueillis dans des « conditions dignes et satisfaisantes », au prix d’un coût important de « 634 millions d’euros » selon la Cour des comptes. 

Le 7 octobre 2023, le monde assistait à l’assaut du Hamas en Israël et la réponse de Tsahal à Gaza. 1200 morts côté israéliens et désormais plus de 30 000 palestiniens tués après quatre mois de bombardements intensifs sur le territoire palestinien. La France n’a cependant pas été aussi généreuse que pour les ukrainiens. Seulement deux enfants palestiniens blessés ont été rapatriés. Au total, 163 palestiniens qui travaillent pour des institutions françaises et leurs familles ont pu également être rapatrié mais dans des conditions souvent déplorables.  

Pourquoi un tel fossé entre l’accueil des réfugiés ukrainiens et palestiniens ? Pourquoi un tel écart de générosité ? Pour répondre à ces questions, nous avons tout d’abord questionné Aïda et Monia AL toutes deux respectivement bénévoles pour le comité d’accueil des rescapés du génocide à Gaza et le collectif Urgence Palestine. Nous avons également rencontré la députée LFI Alma Dufour qui nous a apporté son point de vue en tant qu’élue de la nation. Enfin, nous avons pu reccueillir la parole de Razan Nidal responsable du comité national d’accueil et de soutien aux rescapés du génocide.

Crédit photo : Hosny Salah ©

Les rescapés palestiniens arrivent en France au compte-goutte. Parmi eux, des binationaux, des palestiniens possédant une carte de séjour et enfin majoritairement des familles d’employés des services consulaires français. À peine 200 sont arrivés depuis le 7 octobre, contre plusieurs dizaines de milliers d’ukrainiens quelques mois après la guerre engagée par Vladimir Poutine en 2022. Sous pression, le ministère des affaires étrangères a finalement décidé d’en rapatrier certains. Pour les autres qui n’ont pas la chance de travailler pour la France, pas d’autres choix que d’attendre la mort au bruit incessant des explosions. 

« Ce qu’on ne comprend pas c’est que parfois certains employés des services consulaires français n’ont pas les autorisations de quitter Gaza alors que leurs familles les obtiennent. Donc les familles n’arrivent pas au complet. On est donc en inquiétude permanente pour le reste de la famille restée sur place. Parfois aussi c’est l’employé qui obtient une autorisation mais pas ses enfants. Récemment un père qui a décidé de ne pas partir sans ses enfants a été tué par à un bombardement israélien » nous explique tout d’abord Aïda du comité d’accueil des rescapés du génocide. 

La bénévole nous informe également que France Horizon est l’association qui a été mandatée par l’Etat pour accueillir et encadrer les rescapés palestiniens à leur arrivée en France. L’organisme les accompagne dès leur atterrissage à Paris et se charge de les placer dans des centres d’hébergement d’urgence en région parisienne. Actuellement, Aïda suit un groupe de deux familles palestiniennes hébergées en Seine-Saint-Denis depuis quatre semaines. Deux familles dans l’attente d’un logement permanent partout en France.

Deux familles qui vivent une situation « déplorable » : « Les familles ont été placées dans un centre d’hébergement aux conditions d’hygiènes lamentables. Cafards, humidité et saletés en tout genre jonchent les chambres et les salles communes. À l’hôtel les repas, servis dans des barquettes, ne sont pas du tout qualitatifs et sont souvent périmés. Donc les familles mangent peu. Les repas d’hôpitaux sont mêmes plus appétissants. On s’est donc organisé avec le comité pour leur apporter des repas décents, fait par des traiteurs. » 

Contrairement aux palestiniens, les ukrainiens ont été accueillies dans des « conditions dignes et satisfaisantes » : logements parfois neufs, maisons avec jardin et scolarisation rapide leur ont été proposés. Une campagne de sensibilisation afin d’accueillir un ukrainien ou une famille a aussi été lancée par le gouvernement : « Vous souhaitez accueillir des personnes déplacées chez vous ? Le ministère du Logement, en lien avec les associations, vous permet de vous inscrire simplement, et de manière sécurisée, via une plateforme dédiée ».  https://parrainage.refugies.info/benevoles

Selon Monia AL bénévole pour Urgence Palestine : « Si vous êtes racisé et musulman, vous n’aurez jamais le même accueil que si vous êtes blanc, occidental et de culture chrétienne. D’ailleurs les réfugiés ukrainiens n’ont jamais demandé le droit d’asile contrairement aux palestiniens. Ils savent qu’ils repartiront chez eux. Ce n’est pas le cas pour les Palestiniens ».

13 janvier 2024 Paris – Manifestation en soutien à la Palestine ©

À leur arrivée les presque 200 palestiniens n’ont pu obtenir ni logements, ni famille d’accueil, ni scolarisation rapide. Un toit sur la tête dans des hôtels délabrés de la banlieue parisienne. Des “cafards, de l’humidité et de la promiscuité”. Les rescapés errent dans les couloirs de l’hôtel sans aucun endroit où aller, se distraire ou se retrouver. Aucun loisir ne leur est proposé.

Les familles palestiniennes ont aussi tout d’abord eu l’obligation d’entreprendre des démarches administratives pour leurs demandes d’asile contrairement aux ukrainiens. Les ukrainiens eux, ont pu obtenir une carte de séjour leur permettant de retourner en Ukraine après la guerre. Ce que ne permet pas l’asile. Voici d’ailleurs ce que l’on peut lire sur le site de la commission européenne : « Si vous résidiez en Ukraine de façon permanente et que vous avez quitté le pays pour échapper à la guerre à partir du 24 février 2022, vous pouvez bénéficier de la protection temporaire dans n’importe quel pays de l’UE. La durée de la protection temporaire sera d’au moins un an et pourra être prolongée en fonction de la situation en Ukraine. Les droits prévus au titre de la directive relative à la protection temporaire comprennent l’octroi d’un permis de séjour, l’accès au marché du travail et au logement, l’assistance médicale et l’accès des enfants à l’éducation. Vous aurez également le droit d’ouvrir un compte bancaire de base, comme toute personne résidant légalement dans l’UE. »  https://eu-solidarity-ukraine.ec.europa.eu/information-people-fleeing-war-ukraine/fleeing-ukraine-your-rights-eu_fr

Aucune prise en charge psychologique n’est également proposée aux réfugiés palestiniens. Or, selon Aïda, « les familles sont très demandeuses surtout pour leurs enfants atteint par la guerre et le périple depuis leur sortie de Gaza ». Les responsables de France Horizon sont rarement sur place aux côtés des familles. Un sentiment d’abandon les envahit au quotidien. 

« Rien n’est prévu pour occuper les enfants. Avec le comité, on essaye de les sortir un peu mais on est limité. Financièrement surtout. On a d’ailleurs lancé une cagnotte en ligne afin de pouvoir les aider dont voici le lien cliquable : https://www.paypal.com/donate/?hosted_button_id=4RUQ8M7B4Z52Q. On reçoit désormais quelques dons. Quand on peut, on leur remet une petite enveloppe et on les emmène aux magasins pour qu’ils puissent acheter et choisir eux-même leurs vêtements. La plupart sont venu sans presque rien. Ça leur redonne une certaine dignité car ils ont toujours l’impression de faire la charité. »

D’après le témoignage de Monia AL : « Une famille de 11 personnes s’est retrouvée répartit dans trois minuscules chambres avec seulement 8 lits » dans un des centres d’hébergement d’urgence de la région Parisienne. « Cet accueil est-il à la hauteur de la 7e puissance mondiale qu’est la France ? Comment vont-ils s’en remettre psychologiquement ? Quelle honte ! » 

Accueil d’une quarantaine de réfugiés Palestiniens le 16 février 2024 à l’aéroport de Roissy CDG.
Crédit photo Sihame Assbague ©

La « honte » c’est également le sentiment partagé par la députée Alma Dufour : « La position de la France face au conflit le plus meurtrier des 20 dernières années est une véritable honte. Parler de conflit est d’ailleurs erroné, il s’agit d’un début de génocide commis par une armée sur une population qui ne peut pas fuir. Bombardement d’école, d’hôpitaux, de camps de réfugiés, de la moitié des habitations, privation d’eau potable, de nourriture, de médicaments et désormais tirs de snipers sur des civils. Nous payerons le prix de notre lâcheté. La France aurait dû soutenir la plainte de l’Afrique du Sud comme l’a fait la Slovénie. Elle doit comme l’Espagne annoncer immédiatement un embargo sur l’exportation de tout matériel militaire vers Israël et pousser pour la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. En effet, comme il est très probable que les États Unis mettent une nouvelle fois leur veto, il faut contourner l’ONU en adoptant des sanctions économiques et diplomatiques. Le groupe auquel appartient La France Insoumise au Parlement européen est à l’origine des amendements demandant la suspension des accords économiques qui lient l’Union européenne à Israël et d’embargo immédiat sur toute vente d’arme et de matériel militaire. Les Etats européens qui ne font absolument rien sont en violation de la Convention pour la prévention des génocides dont ils sont signataires. Seul notre groupe a unanimement voté pour des sanctions qui devraient relever de l’évidence.»

Le 30 mars 2022, le ministère de la Santé lançait une page dédiée au soutien psychologique des réfugiés ukrainiens et de leurs accompagnants. Voici ce que l’on peut lire sur le site du gouvernement : « Le Centre national de ressources et de résilience (Cn2R) a conçu une brochure à destination des familles accueillantes, en partenariat avec les référents nationaux des CUMP, les centres régionaux du psychotraumatisme et la plateforme du 3114, numéro national de prévention du suicide. Elle délivre des recommandations pour accompagner au mieux les personnes déplacées au quotidien.

Le Réseau national de l’urgence médico-psychologique a publié une note d’information visant à faciliter la mise en place de cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP). Elle s’accompagne de deux modèles de documents à remettre au patient, en français et en ukrainien, à l’issue d’un rendez-vous auprès de la CUMP. » 

Pourquoi donc une telle différence de traitement entre l’accueil des palestiniens et celui des ukrainiens ? 

Pour Razan Nidal : « En mars 2022, bien que nous étions heureux du traitement et de l’accueil réservé aux ukrainiens, nous savions que le reste des demandeurs d’asile n’avaient pas un tel accueil depuis des dizaine d’années en France. Aujourd’hui, c’est encore plus douloureux à vivre en tant que palestiniens bénévole aidant les rescapés du génocide. Depuis un an et demi déjà, les Ukrainiens bénéficient d’un titre de séjour dérogatif activé par l’Union Européenne, une protection temporaire. Cette protection leur donne un accès immédiat (le jour même) à une proposition d’hébergement, à un accès aux soins (PUMA/CSS réalisé dans la journée), une autorisation de travail, une inscription pôle emploi etc… Aujourd’hui, ces personnes évacuées sans nationalité française, quand bien même ils pourraient bénéficier de titre de séjour plus protecteurs, sont forcés de réaliser une demande d’asile par les institutions (étant donné leurs liens en France, ils pourraient bénéficier d’autres titres de séjour sur décision préfectorale). Cela a pour conséquence qu’ils rentrent dans le circuit kafkaïen de l’asile en France et doivent après attendre trois mois de présence en France pour bénéficier de l’assurance maladie et d’une prise en charge medico-psychique (délai de carence pour l’obtention de la PUMA de trois mois pour les demandeurs d’asile). Pour obtenir des droits d’autorisation de travail, ils vont devoir attendre quelques mois voire un an pour que leur procédure d’asile aboutisse, ce qui reste à l’appréciation des institutions en charge (OFPRA, CNDA).

Cette différence de traitement est déjà horrible par rapport aux autres personnes venant de pays eux aussi ravagés par la guerre ou des persécutions politiques. Mais à l’heure où un génocide des palestiniens se commet en transmission directe par les réseaux sociaux, cette différence avec les ukrainiens devient intolérable.»

Pour Alma Dufour : « La première raison de cet énorme écart réside dans le fait que la quasi-totalité des palestiniens ne peuvent pas fuir la bande de Gaza. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de prison à ciel ouvert, et désormais de cimetière à ciel ouvert. Concrètement pour sortir par la frontière avec l’Égypte, à Rafah, il faut une double autorisation d’Israël et de l’Égypte. Toutes les autres frontières sont avec Israël. La volonté affichée, à plusieurs reprises, par le Gouvernement Israélien de vider la bande de Gaza de sa population et d’empêcher définitivement son retour, c’est-à-dire de procéder à un nettoyage ethnique, provoque un maintien de la fermeture de la frontière par l’Égypte. C’est une situation très différente de celle des civils ukrainiens, qui ont fui les combats car les frontières étaient ouvertes avec les voisins européens. Seuls 65 palestiniens ont demandé l’asile en 2023, alors que la France a accueilli 115 000 réfugiés ukrainiens depuis le début du conflit. Les quelques personnes qui arrivent à avoir la double autorisation sont les ressortissants étrangers, des palestiniens binationaux, des travailleurs dans des services consulaires et une poignée de citoyens palestiniens. Mais même dans ces cas, Israël fait ce qu’il veut. Un ressortissant français est mort récemment par manque de médicament dans les hôpitaux. Yasmine Znaïdi une citoyenne française et son fils de 3 ans, Omar, qui nécessite une opération en urgence sont toujours interdits de sortie par Israël. Elle a perdu ses deux autres enfants dans un bombardement ciblé. Son fils français victime innocente de cette situation, devrait avoir le droit de sortir du territoire pour recevoir des soins. »

Le comité d’accueil des rescapés du génocide a lancé un appel à signer pour un accueil digne des rescapés du génocide à Gaza dont voici le texte : 

« Suite au rapatriement par le ministère des Affaires Étrangères de plusieurs habitants de la bande de Gaza le 10 novembre dernier, des déficiences graves sont apparues quant à leur prise en charge.L’absence d’assistance médicale ou psychologique, l’insuffisance des repas distribués et l’inexistence d’aide vestimentaire ont été constatées.

Par la suite, lors de leur relocalisation dans des logements temporaires, le gestionnaire mandaté par l’Etat n’a nullement tenu compte des besoins spécifiques de certaines familles.

Pour exemple, une personne à mobilité réduite s’est vue attribuer un logement à l’étage et une étudiante française rapatriée avec sa famille a été relogée à 300 km de l’établissement où elle suit ses études. Les rescapés ont droit à un accueil digne.»

Pour signer l’appel cliquez ici.

En revanche, pour Razan Nidal : « C’est au gouvernement de prendre ses responsabilités. Ces personnes ont travaillé pour la France, ont des enfants français, ont été rapatriés sur décision présidentielle comme les 9 enfants blessés. Dès lors l’Etat doit les prendre en charge dès leur arrivée avec un hébergement, un suivi social et médical adapté et constant. Cela commence par une vraie évaluation de leurs situations et de leurs besoins lors de leurs arrivées, puis de capter des logements et mettre en place une coordination efficace et fluide entre les familles, les travailleurs sociaux et des psychologues, médecins et pédiatres. Pour cela, il est nécessaire qu’il existe une volonté politique réelle. Aujourd’hui, le ministère des affaires étrangères ramène depuis l’Egypte des enfants gazaouis blessés puis les laissent dans un hôpital français sans aucun suivi juridique ou social ni aucun lien avec les autres autorités en France. Seule une volonté politique gouvernementale peut forcer les autorités étatiques ministérielles ou déconcentrées à se coordonner pour répondre au besoin des palestiniens rescapés du génocide en terme de santé, logement, démarches préfectorale (ARS, Préfecture, DRIHL). Rien de cela n’a été organisé, nous demandons à ce que cela soit mis en place : que les autorités françaises soient à la hauteur du drame que nous vivons !»

Le racisme et l’islamophobie en France ont-ils donc un lien avéré avec l’accueil des réfugiés palestiniens ?

La députée Alma Dufour est catégorique : “Au-delà de cette réalité matérielle, le racisme et l’islamophobie cultivés en France depuis des années par l’extrême droite et ceux qui leur emboîtent le pas, provoquent une inégalité de traitement notable entre les réfugiés ukrainiens et les réfugiés non-blancs. Les réfugiés ukrainiens ont droit à un statut administratif exceptionnel très protecteur – juridiquement et financièrement – et de choisir n’importe quel pays de l’Union dans lesquels ils voudraient s’installer, car ce sont « des citoyens libres » selon les mots de Gérald Darmanin. Les autres réfugiés font l’objet de procédures de répartition forcée, qui vont parfois jusqu’à l’enfermement dans des centres, comme pour les réfugiés de l’Océan Viking. Les réfugiés afghans sont considérés comme des « flux irréguliers » dont il faudrait se protéger par Macron- en tout cas si on en croit son discours d’août 2021 qu’on préférerait oublier. L’accueil des Ukrainiens en 2022 a coûté environ 630 millions d’euros à la France, estime la Cour des comptes, c’est en moyenne le double du budget alloué aux autres demandeurs d’asile. »

Alma Dufour le 3 novembre 2023 – Place de la République

« Je crains que la déshumanisation et la propagande sur l’extrémisme supposé des habitants de Gaza – régulièrement présentés comme des terroristes en puissance dès la naissaince sur des chaînes d’information en continue – provoquent une crainte de l’accueil encore plus grande.» ajoute t-elle.

L’élue LFI conclue en rajoutant une information de haute importance pour les réfugiés palestiniens : « Pour autant, la Cour nationale du droit d’asile a pris une décision très importante qui accorde « la protection subsidiaire conflit armé » aux palestiniens. Il est désormais interdit de renvoyer les palestiniens dans la bande de Gaza, ou en Cisjordanie, et ils bénéficient du droit de travailler en France avec un titre de séjour d’un an renouvelable automatiquement pendant 3 ans. Nous espérons que Gérald Darmanin se tient à jour des décisions de la Cour… après avoir tenté d’expulser un couple de Palestiniens résidant à Rennes.»

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