Journal de Bord d’un campement. Ritournelle D’un Lieu de sur-vie informel.

Le 24 octobre 2016, le gigantesque campement de Calais, connu sous le nom de « Jungle de Calais », est démantelé. Pas moins de 7000 personnes en exil sont évacuées après des jours, des semaines, des mois, parfois des années de survie dans des conditions inhumaines, sans aucune ressource sinon celles des associations, collectifs, bénévoles et citoyennes et citoyens solidaires qui tentent de pourvoir à leurs besoins les plus élémentaires. 

En proche banlieue parisienne, alors que les centres d’accueil sont vides et de nombreux locaux restent vacants, des milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, survivent dans la rue, toujours repoussées loin des regards et se retrouvent à former involontairement des lieux de sur-vie informels. En lisière du périphérique, sous des ponts sombres et humides, entre Paris et la proche banlieue, une triste et sempiternelle ritournelle se joue encore et encore. Un enfer quotidien qui plonge inexorablement ces personnes dans une vulnérabilité extrême à laquelle s’ajoutent les traumas de leur parcours d’exil, la violence de la rue, l’angoisse permanente des difficultés inhérentes à cette situation qu’elles doivent surmonter et l’attente. Cette attente épuisante d’une validation d’un statut, d’un repas, d’une couverture ou d’une tente, d’une réponse des autorités compétentes, d’un chez-soi, loin de la rue et de ses dangers.

Campement de Delphine Seyrig (DS), le 2 Août 2022. Plus d’une centaine d’hommes isolés d’origine afghane se sont retrouvés sur ce campement pour la énième fois. (Audrey M-G pour Les Répliques)

2 Juin 2022. Campement de la Marseillaise.

Ils sont 60 exilés dont une grande majorité afghane, des Iraniens, des Maliens, Soudanais, une famille marocaine avec 4 enfants de 2 à 15 ans. Certains viennent du camp de fortune du Cheval Noir (situé dans le 93) évacué il y a peine un mois. D’autres, des « primo-arrivants », ont posé le peu d’effets qu’ils ont pu conservé. D’abord installés au parc de La Bergère à Bobigny, ils ont été déplacés depuis peu sur un terrain vague à la lisière du 19ème arrondissement de Paris et de Pantin, rue de La Marseillaise, avec l’accord de la Mairie du 19ème. Sans point d’eau ni sanitaire à proximité, les associations

Tendre La Main, Utopia56, les collectifs Pantin Solidaire et Les Renards les ont pris en charge. Avec une organisation d’urgence et grâce l’aide d’autres associations comme Les Restos du Coeur et des dons privés, ils arrivent à leur fournir le minimum vital. Eau, repas, kits d’hygiène, support juridique, social et soutien moral. Certains ont besoin de soins urgents dus à de graves traumatismes, au manque de sommeil et au stress permanent qu’engendre le harcèlement policier quotidien dont ils sont victimes. Cette après-midi, la police nationale est venue les avertir qu’ils ne pourraient pas rester plus longtemps et qu’au petit matin ils seraient expulsés. Évidement sans qu’aucun arrêté préfectoral n’ait été édité. Pour faire en sorte qu’ils ne soient pas délogés demain, les bénévoles ont dû remplir des CERFA témoignant de leur présence et de leur engagement auprès d’eux. Une première ubuesque au regard des conditions indignes et scandaleuses dans lesquelles ces soixante personnes doivent survivre.

Campement de La Marseillaise, le 2 Juin 2022. Après l’évacuation du campement de Cheval Noir, près de 80 personnes n’ont pas pu être mises à l’abri dont une famille avec de jeunes enfants. (Audrey M-G pour Les Répliques)

9 Juin 2022. Campement de la Marseillaise. 

Une semaine. Le nombre de tentes a augmenté. De nouveaux visages. De nouveaux besoins. Et toujours leurs sourires. L’association Tendre La Main leur a apporté thé, biscuits, cookies et pain faute de mieux. Ce soir, il n’y aura pas de repas chaud. Malgré ces conditions de survie, on joue, on écoute de la musique, on se chamaille, on rit. Des amitiés se lient et la bienveillance est toujours le mot d’ordre. On rencontre Eli* qui vient d’arriver en France il y a trois jours. De son histoire, on comprend qu’il vient du Darfour et qu’il a passé un an en Libye avec son cousin. Entre temps, il a vécu trois ans à Malte. Il travaillait pour Mark&Spencer et payait ses impôts comme tout autre citoyen. Conditions requises pour obtenir sa régularisation sur le territoire. Les autorités maltaises n’ont pas tenu leur promesse et ne lui ont jamais délivré son titre de séjour.

« La France, c’est un beau pays, je sais que c’est ma nouvelle maison et je ferai tout pour m’intégrer, mais vous pourrez m’aider un peu madame? Je ne connais rien ici. » me dit-il. Le guide Watizat est téléchargé. Il me promet de prendre le temps de l’étudier cette nuit pour bien s’orienter. Une histoire parmi tant d’autres, comme celle de Baqir*. Il me montre les stigmates que lui ont laissé la reprise de Kaboul par les Talibans ce tristement fameux 15 août 2021. Des cicatrices presque remarquablement parallèles racontent d’elles-mêmes les atrocités sans fin qu’il a subi en répression de son désir de liberté et d’un monde autre que le leur.  Vers 23:00, sous le vacarme incessant du périphérique et les lumières du Philharmonique, nous leur souhaitons bonne nuit. Demain est censé être un autre jour.

10 Juin 2022. Campement de La Marseillaise. 

Cette nuit, de nombreux vols ont été commis dans les tentes. Des portables volés, des tentes lacérées, des affaires envolées. Le téléphone est un objet précieux pour les exilés. C’est le seul moyen pour eux de rester en contact avec leurs proches restés au pays. L’unique façon de leur dire que « tout va bien ». Via les réseaux sociaux, des appels en FaceTime, Facebook, Instagram, TikTok, SnapChat, ou simplement avec un message. C’est aussi un outil indispensable pour se repérer dans cette immense ville, trouver une permanence juridique, un accueil de jour pour pouvoir se doucher, laver ses affaires et charger ce bien inestimable.

Mais aujourd’hui est un autre jour. Des sanitaires ont enfin été installés à l’entrée du camp. Pour homme et pour femme. L’association Tendre La Main leur a distribué des sous-vêtements et des paires de chaussettes neuves. De simples bouts de tissu anodins qui provoquent des élans de joie et de reconnaissance. Vers 22:00, Les Restos du Coeur sont au rendez-vous. Les bénévoles s’affairent à préparer les tables et les repas. La jeune Aya* en profite pour me raconter qu’elle est en 5ème et qu’elle aime beaucoup l’espagnol même si son professeur écorche toujours son prénom. Scolarisée dans le 94, elle traverse tout Paris pour rapporter de bonnes notes à ses parents. Malgré la fatigue, comme n’importe quel enfant de son âge, elle affiche en permanence son joli sourire mutin et ne manque jamais une occasion de s’amuser avec ses voisins de tente.

Plus de 80 sandwichs au thon « halal » (tous ont demandé si les sandwichs étaient Halal bien qu’à base de poisson!), pommes dauphines, omelettes, brioches, pain, thé et café seront distribués ce soir en un éclair. Demain, ils seront plus nombreux encore.

Les Restos du Coeur sur le campement de La Marseillaise, Le 11 Juin 2022. Plus 80 repas et le double en bouteilles d’eau en prévention des fortes chaleurs seront distribués ce soir. (Audrey M-G pour Les Répliques).

16 Juin 2022. Campement de la Marseillaise.

Deux semaines. Deux fois et demi plus de personnes. Le terrain est inondé à cause des orages de la veille, des tentes se sont effondrées sous le poids de l’eau. On patauge dans la boue et on doit composer avec d’énormes rats maintenant. Pourtant toujours leur sourire. Malgré les journées qui semblent longues, on trouve de quoi s’occuper. On confectionne une multi-prises pour charger les portables, on joue au foot ou au cricket, on chante en musique. Ali* me raconte que selon les régions, ces deux sports sont incontournables dans son pays et leur rappellent « la maison ». Les mêmes questions reviennent: « Avez-vous « Hima » (tente en pachto) pour moi? Quand est-ce qu’on aura un logement? Demain, aura-t-on à manger? ». Ils sont près de 150 maintenant. Un travail titanesque pour les petites associations et collectifs qui leur viennent en aide quotidiennement. 

Ce soir, grâce la générosité d’un citoyen solidaire, ils ont eu pour diner un sandwich et une briquette de jus d’orange. Dans les prochains jours, les températures caniculaires les frapperont durement. Zhara*, une enfant de deux ans les subira de plein fouet. Bien que la mairie ait raccordé un robinet à l’arrivée d’eau potable, cela ne suffira pas. Face à l’inaction des pouvoirs publics, une lettre d’interpellation, signée par plusieurs associations et collectifs, leur a été adressée pour que cette situation d’urgence cesse et que soit mise en place une véritable prise en charge rapide, fiable et pérenne des pouvoirs publics.

Orientation sociale sur le campement de La Marseillaise, le 3 Juin 2022. Camille, fondatrice de l’association Tendre La Main, explique aux exilés les démarches à suivre en fonction de leur situation en arrivant sur le territoire français. (Audrey M-G pour Les Répliques)

17 Juin 2022. Campement de La Marseillaise.

32C à l’ombre. C’est la température qu’il fait lorsque les bénévoles de l’association Tendre La Main arrivent sur le camp. Des bâches sont tendues au dessus des tentes pour faire illusion d’un coin d’ombre. On ressent une lassitude bien palpable et cette langueur propre aux fortes chaleurs qui s’abattent soudainement. Heureusement, un point d’eau a été installé aux abords de la sortie du périphérique. Indispensable pour remplir bouteilles d’eau et jerricanes pour d’affronter les températures caniculaires et se rafraîchir un minimum. La chaleur et le bitume brûlant n’empêchent pas Les Restos du Coeur de venir une fois de plus. Avec l’aide des exilés et des bénévoles, 150 repas seront distribués. Un appel aux dons a été lancé pour distribuer près de 150 bouteilles d’eau d’1,5L. Zhara*, la petite soeur de Aya*, a souffert toute la nuit du ventre. L’eau des robinets de la Ville n’est pas aussi potable que prévue pour les plus jeunes. La concentration en chlore étant largement au dessus du seuil autorisé, les résidus de pesticides et les sulfates, entre autres, provoquent notamment des diarrhées chez les nourrissons. Heureusement, deux citoyens solidaires sont venus prêter main forte au dernier moment. Pendant la distribution, on refait de la prévention quant à l’importance de bien s’hydrater par rapport à la journée de demain où 38C à l’ombre sont annoncés.  On estime que plus de 2,2 milliards de personnes vivent sans accès à de l’eau potable qui est pourtant un droit fondamental indissociable de la dignité humaine.

Des points d’eau et des sanitaires ont été installés aux abords du campement de La Marseillaise par la Mairie du 19ème arrondissement de Paris, le 17 Juin 2022. (Audrey M-G pour Les Répliques)

20 Juin 2022. Campement de la Marseillaise.

La Journée mondiale des réfugié.e.s est une journée internationale ayant pour but de sensibiliser à la cause des réfugiés du monde. Elle a lieu le 20 juin chaque année depuis 2001, année du 50ème anniversaire de l’adoption de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. En cette même journée, l’association Tendre La Main s’est rendue de nouveau sur ce lieu de vie informel qui compte à présent pas moins de 250 personnes exilées dont de nouvelles familles avec de très jeunes enfants et des femmes enceintes.

Avec les collectifs Pantin Solidaire et Les Renards et l’association Utupia56, les bénévoles se sont organisés pour préparer des activités de dessin, un barbecue, un dîner plus « festif » et distribuer des couvertures pour « marquer le coup ». Malgré leurs sourires et leur bienveillance, la tension est bien palpable. De violentes disputes intra et inter communautaires explosent. Les bénévoles essaient tant bien que mal de les raisonner. À bout de force et de patience, entre vague de chaleur et gros orages, la parole qui pouvait régler ces malentendus est étouffée face au silence assourdissant des autorités compétentes. 

Selon la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, un réfugié est une personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Quelle protection offre donc la France? Peut-on être réfugié au sein même d’une communauté réfugiée?

23 Juin 2022. Campement de la Marseillaise.

Du passage des 250 personnes exilées qui avaient été installées sur ce lieu de vie informel, il ne reste pas grand chose. D’infimes détails de trois semaines de survie ont été laissés derrière leur passage. Un t-shirt oublié, une valise abandonnée, un piquet de tente, les cendres d’un feu éteint depuis longtemps, témoignent de leur présence. Seuls leurs appels à l’aide tagués sur le béton sont restés intacts. Maintenant, ce sont les vautours parisiens qui règnent sur ce terrain détrempé, à l’affût d’un reste de diner ou d’une miette de biscuit.

Le 22 Juin 2022, 380 personnes exilées sont évacuées du camp pour une mise à l’abri organisée par la préfecture de Paris, les familles et les couples ne pourront pas monter dans les bus (floqués de banderoles: « ensemble, aidons l’Ukraine »), 60 autres n’y auront pas accès faute de place. Un travail titanesque et l’implication des associations et collectifs Tendre La Main, Pantin Solidaire, Utopia56, Solidarité Migrants Wilson, Médecins du Monde, Les Renards, Les Restos du Coeur, entre autres, l’investissement des bénévoles et des citoyens solidaires ont permis à ces personnes de supporter ces conditions de survie indignes. Mais pour combien de temps encore? L’été arrivant, l’activité des associations tourne au ralenti dû au manque de bénévoles. Ceux déjà présents sont exténués par les mois passés sur le terrain alors que ces situations d’urgence et les besoins sont de plus en plus nombreux.

Le campement de la Marseillaise après l’évacuation du 22 Juin 2022, le 23 Juin 2022. Près de 250 personnes exilées ont été évacuées et orientées vers des centres d’accueil. Le terrain vague de la Marseillaise a été entièrement nettoyé par les services de propreté de la Mairie. Seuls les graffitis d’appel à l’aide témoignent de leur passage (Audrey M-G pour Les Répliques)

2 Août 2022. Campement de Delphine Seyrig. 

Depuis le 19 Juillet 2022, un nouveau lieu de vie informel à vu le jour, sous le pont du canal de l’Ourcq, rue Delphine Seyrig à Pantin (Seine-Saint-Denis). Un an après la formation du premier campement. Maintenant, ils sont plus de 200 exilés d’origine afghane pour la grande majorité. Beaucoup d’entre eux peinent à survivre dans la rue depuis des mois, voire des années. La plupart viennent du camp de Cheval Noir et/ou de la Marseillaise, entre Pantin et le 19ème arrondissement de Paris. Les « mises à l’abri» successives n’ont rien donné. La prise en charge de ces hommes n’a rien eu de pérenne et n’aura été qu’une vaste illusion. Quelques jours, quelques semaines de repos. Et encore. Mais cette triste et révoltante ritournelle reprend de plus belle. Tendre La Main et Solidarité Migrants Wilson étaient sur place ce soir. Une distribution de repas, des retrouvailles avec Aly* ,Naqibullah* et Farooq*, de nouvelles rencontres avec des portraits tirés de Ghulam* et de ses amis, des sourires et des rires ont rythmé cette soirée.

Entre les lattes du pont, alors que les badauds en bas détournent le regard, on y aperçoit les fragments colorés de centaines de tentes dans lesquelles survivent parfois trois personnes, sans accès à l’eau courante, ne pouvant pourvoir à leurs besoins les plus élémentaires. Si l’on s’y penche d’un peu plus près, ce sont des hommes aux traits tirés, au regard désemparé, désoeuvré, d’une grande vulnérabilité que l’on peut découvrir. Ou redécouvrir. Au pays des Droits de l’Homme, voilà la réalité de ce que le silence assourdissant des autorités compétentes et le sadisme d’Etat laissent entrevoir. Si tant est qu’on se donne la peine de ne plus détourner le regard.

Campement de Delphine Seyrig, 2 Août 2022. Le guide Watizat est mis à jour mensuellement et permet aux exilés de pouvoir s’orienter en fonction de leur situation et de leurs besoins. Deux exilés dorment dans les sacs de couchages que les bénévoles leurs ont distribués. Un exilé afghan emmitouflé sur son lit de fortune. (Audrey M-G pour Les Répliques)

Vendredi 12 Août 2022. Évacuation du campement de Delphine Seyrig. 24 jours après leur installation, 98 tentes et 32 couchages (à même le sol) ont été comptés la veille. À peine le soleil levé, plus de 350 hommes isolés afghans s’affairaient à replier le peu d’effets personnels qu’il leur restait. Certains dormaient encore en attendant le départ. Des familles avec de très jeunes enfants avaient été mises au courant et se sont hâtées de rejoindre ce lieu de vie informel dans l’espoir d’être mises à l’abri aussi. À 5:30, Solidarité Migrants Wilson, Utopia 56 et Pantin Solidaire étaient sur place pour récupérer tentes et duvets alors que Tendre La Main et France Terre d’Asile s’occupaient d’orienter les exilés vers les bus en fonction de leur situation.

Un large dispositif de Forces De l’Ordre et d’agents de la Mairie de Paris encadraient également l’évacuation pour en assurer le bon déroulement. 10 par 10, 15 par 15, en rang, Naqibullah*, Haidar*, Farooq* et Ghulam* nous lancent un dernier « manana » (« merci » en pachto) avec un signe amical de la main. Un dernier portrait tiré entre deux vagues. En trois heures, ce lieu de survie n’est presque plus. Le campement de « DS » est déjà entre les mains des nettoyeurs.

80 hommes n’auront pas pu être pris en charge. Les FDO les ont invités à dégager les lieux. Pour aller où? Pour errer vers quel nouveau point? Seules les familles les plus vulnérables ont été emmenées vers un centre d’hébergement. La même question se repose. Pour combien de temps?

Évacuation du campement de Delphine Seyring, le 12 Août 2022. Un enfant attend avec ses parents une mise à l’abri. Les hommes isolés sont dirigés par vers les bus en fonction de leur situation. Les équipes de la voirie sur sur place pour nettoyer le lieu. (Audrey M-G pour Les Répliques)

Le 18 Août 2022. Errance. 

Après une énième « mise à l’abri » des hommes isolés (d’origine afghane en très grande majorité) du campement de Delphine Seyrig, 80 d’entre eux n’avaient pas pu monter dans les bus. Commençait alors pour eux une semaine d’errance infernale dans le Nord de Paris. Dès la première nuit, installés Quai du Lot, près du parc de la Villette, à l’abri des regards, le harcèlement policier commence. En pleine nuit et/ou au petit matin, ils écument menaces, propos racistes, insultes et confiscations de leurs biens et de leur tente par les FDO venus pour les déloger. Camille, présidente de l’association Tendre La Main en a malheureusement été témoin et victime.

Un traitement inhumain qui les prive de sommeil et qui les plonge dans une angoisse permanente. Pour tenter de pallier à cette situation d’urgence, Tendre La Main, Utopia 56, et le collectif Solidarité Migrants Wilson les accompagnent depuis une semaine à la recherche d’un « spot vivable ». D’abord à la lisière de Pantin et du 19ème arrondissement de Paris, puis dans le 18ieme, sous le pont de la rue du Lieutenant Colonel Dax pour finir Quai de la Gare, dans le 13ème arrondissement.

L’insalubrité, l’obscurité, la pluie et le froid ne sont pas le pire dans l’histoire. Chaque jour, chaque nuit, cette peur irrépressible d’un réveil humiliant les assaille. Leur seul réconfort se trouve après des bénévoles présents à leur côté. Eux aussi sont épuisés par cette chasse à l’homme. À cause du manque d’effectif et de matériel, impossible de passer le relais à d’autres, toutes et tous sont sur le qui- vive. Chaque matin, un message, une vidéo, un appel. De nouveau les FDO. Exténués, ils erreront encore ce soir, à la recherche d’un endroit « plus sûr » ou ils reviendront sur leurs pas, sur ces lieux qu’ils ont foulé des mois, des semaines, des jours auparavant sans aucune réelle expectative sinon celle de vouloir sortir de cet enfer, cet exil dans l’exil.

Campement du Colonel Dax, 18 Août 2022. Après des jours d’errance, 80 exilés, dont la situation administrative « ne répondait pas aux conditions requises pour un accueil d’urgence » se sont installés sous ce ont dans le 18ème arrondissement de Paris. Les assocations et collectifs Tendre La Main, Utopia 56 Paris et Wilson Refugees ont continué à les prendre en charge pour leur apporter le minimum vital. (Audrey M-G pour Les Répliques)

06 Septembre 2022. Cuisine à la Belle Étoile.

C’est la rentrée. La tête encore dans les vacances, les appels aux bénévoles restent muettes. Pourtant, quelques de dizaines de citoyennes et citoyens solidaires se mobilisent encore pour cuisiner plus de 350 repas qui seront distribués aux quatre coins de Paris et d’Ile de France. Il manque cependant des bras. En urgence, il faut trouver une solution, DS (Delphine Seyring) n’aura pas assez de repas. Il faut mettre la main à la patte. Une citoyenne solidaire va préparer en 4:00 près de 90 sandwichs « thon-oeufs- crudités » et récolter à droite à gauche autant de desserts et de biscuits pour tenter de palier à la pénurie. 20h30. 25kg de repas transportés en Tram sous ce pont à peine éclairé qui borde le Canal de l’Ourcq. Tous se précipitent et en moins de 10 minutes, la moindre gaufrette a été engloutie sous leurs éternels remerciements. Certains n’avaient pas mangé depuis 72:00. D’autres font un zèle de gourmandise parce que « chocolate… that’s very good Madame ». Malheureusement cela ne suffira pas. D’autres arrivent trop tard. Malgré le « Halas » (« fini » en arabe littéraire »), ils comprennent. Leurs compagnons d’infortune partagent ce qu’il reste. Il faudra prévoir plus pour demain. On mobilisera les acteurs associatifs, on trouvera une solution. A-t-on le choix?

20 Septembre 2022. Campement de Delphine Seyrig.

On ne compte plus les fois où l’on s’y est rendu maintenant. Tendre La Main et Solidarité Migrants Wilson sont sur place, entourés de quelques 200 exilés afghans. Une distribution de repas chauds, des plaies de gale purulente pansées tant bien que mal, des orientations sociales et médicales, des rendez-vous pris, des portraits tirés, la même ritournelle. À ceci près que les conditions de vie sont de plus en plus déplorables et dramatiques. Des bouts de carton posés à même le sol en guise de matelas, un plaid partagé pour se tenir chaud, une insalubrité ambiante poussée à son paroxysme. 

On se rend aussi compte qu’ils sont de plus en plus jeunes et pour beaucoup « Dublinés » (le règlement Dublin stipule qu’un seul État européen est responsable de la demande d’asile d’une personne ressortissant d’un État tiers et que cette dernière ne peut solliciter l’asile dans d’autres pays européens et n’a pas le choix du pays qui examinera sa demande). À cela s’ajoutent des difficultés administratives de plus en plus nombreuses et complexes à surmonter. Entre des récépissés qu’ils ne comprennent pas, les procédures à suivre selon les différents organismes (OFII/ OFPRA /GUDA (1)….), des cartes ADA (Allocation pour Demandeurs d’Asile versée sous certaines conditions) bloquées, des rendez-vous médicaux presque impossible à obtenir (les permanences se spécialisant en fonction des maux à traiter, même en arrivant à l’aube, beaucoup n’auront pas accès au soin faute de place, il faudra revenir une autre fois).

Une musique traditionnelle jaillit soudain de l’enceinte portable qu’ils se partagent. Un puis deux puis trois puis c’est tout un groupe qui se forme pour danser. De loin, on dirait une scène de street battle des années 90 en plein Brooklyn. De près, sous un pont du canal de l’Ourcq, dans ce lieu de survie informel, ces jeunes afghans profitent des lumières de la ville pour s’accorder ce moment de joie, de rires, d’humanité. Des passants intrigués s’arrêtent même pour assister à ce spectacle improbable. Alors que les talibans ont interdit toute forme d’expression artistique comme la danse, la musique, la peinture, le rire entre autres sous peine de mort, Jebran* me confie: « c’est mieux l’Afghanistan en fait, au moins j’ai une maison pour moi. Ici, il n’y a rien et on ne veut pas de nous. Autant mourir sur ma terre natale ».

Danse traditionnelle afghane, le 20 Septembre 2022. Sous le regard interloqué des passants, ces jeunes afghans profitent de la fin de la distribution de repas pour danser ensemble. (Audrey M-G pour Les Répliques)

Le 24 Février 2022, alors que la Russie envahissait l’Ukraine, la mobilisation des états européens ne s’est pas faite attendre pour accueillir les millions de réfugiés ukrainiens. En France, le gouvernement a mis en place de structures d’accueil, d’hébergements, d’aides et d’accompagnements diverses titanesque au vue de l’urgence et de l’ampleur de la tâche. Les acteurs institutionnels et les associations ont également fait parti de ce réseau de dispositifs pour leur apporter des solutions d’urgence et un véritable prise en charge administrative. 

France, terre d’asile? Chaque soir, entre 300 et 500 places sont laissées vacantes dans le centre de premier accueil dédié aux réfugies ukrainiens. Grâce à une mobilisation massive de l’État et des réseaux associatifs, des moyens colossaux ont fort heureusement pu être mis en place. Pourtant, alors que des structures ont fermé dû à la baisse des arrivées, l’État met un point d’honneur à ne pas en faire bénéficier les milliers de personnes vulnérables qui survivent dans la rue. Ces dispositifs devraient et doivent leur profiter, sans distinction aucune ni condition pré-requise.

Farooq* remercie Camille pour son aide et son écoute, Le 18 Juin 2022. Sa vie en Afghanistan et son parcours d’exil l’ont durement marqué, physiquement et psychologiquement. (Audrey M-G pour Les Répliques)

*Les noms ont été modifiés à la demande des personnes concernées.

1: OFII: Office Français de l’Immigration et de l’Intégration

OFPRA: Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides

GUDA: Guichet Unique pour Demandeurs d’Asile

Tendre La Main: @tendre_la_main_

Solidarité Migrants Wilson: @refugees_paris

Utopia56: @utopia56paris / @utopia.56

Les Restos du Coeur: @restos.du.coeur

Pantin Solidaire: @collectif.pantinsolidaire

France Terre d’Asile: @franceterredasile

Médecins du Monde: @medecinsdumonde

Watizat: @watizat 

Un immense merci à tous ces êtres exceptionnels, aux associations, collectifs, bénévoles et citoyennes et citoyens solidaires qui ont témoigné et qui ont permis et permettent de mettre en lumière ces conditions de survie mais aussi et surtout pour leur admirable courage, engagement, investissement et abnégation au quotidien.

Audrey M-G. – Photographe Reporter

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