56ième jour d’occupation à la faculté de Nanterre

Chaque année, avec les réformes Blanquer et le Parcoursup, des milliers d’étudiant·e·s sont exclu.e.s du parcours universitaire post-bac et/ou en cours. Depuis le 27 Octobre 2021 , des « Sans-Facs » et leurs soutiens occupent le bâtiment Grappin où se trouvent les bureaux de la présidence de l’université Paris-Nanterre, pour exiger l’inscription de 61 jeunes qui se retrouvent sans université.

Audrey M-G / @vanites_parisiennes

L’université de Nanterre accueille plus de 34 000 étudiant·e·s mais sa présidence refuse toujours de s’engager à inscrire les 61 Sans-Facs pris en charge par L’UNEF (Union Nationale des Étudiants de France) mettant en avant le manque de places comme motif de ce refus. Les Sans-Facs ont fait une proposition de compromis: ils lèveront l’occupation si l’université s’engage à inscrire à Nanterre et dans l’immédiat 23 dossiers présentés lors du dernier rendez-vous avec Mr Philippe Gervais-Lambony (Président de l’Université de Paris-Nanterre) et à établir un calendrier de rencontres à venir afin de trouver une solution d’inscription au sein de ce campus ou ailleurs pour des dossiers restants. Proposition à ce jour restée sans réponse.

Mise en place par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en 2018 dans le cadre de la loi « Orientation et réussite des étudiants », l’application Parcoursup remplace Admission Post-Bac (APB), mettant fin au tirage au sort et enregistrant les vœux motivés mais non hiérarchisés des candidats, qui doivent accepter ou décliner les propositions au fur et à mesure qu’elles leur sont faites. Une sélection qui se fait sur la base d’un algorithme totalement impersonnel qui a pour but d’attribuer une place aux étudiant.e.s en fonction de leur parcours scolaire, de leurs activités extra-scolaires. Très pénalisant pour les étudiant.e.s des classes populaires.

Audrey M-G / @vanites_parisiennes

Ce système de sélection s’applique également au Master. Le SNESUP-FSU (fédération et syndicat des enseignants chercheurs) estiment qu’il faudrait 2 milliards d’euros par an sur 10ans pour éviter ce genre de situations. Soit 20 milliards d’euros. Le prétexte des coupes budgétaires du service public en général ne devrait pas impacter l’avenir des étudiant.e.s. En 2022 projet de loi de financement de l’enseignement supérieur prévoit une baisse de 39,4 millions d’euros sur le budget des Master impliquant de facto un renforcement de la sélection. Dans le cas précis de l’université de Paris-Nanterre, on estime que 300000€ ont été déboursés pour assurer la sécurité du campus depuis l’occupation. Or, 8300€ c’est le coût d’une licence pour un étudiant. Ce budget aurait permis d’ouvrir 36 places en licence.

Il est à peu près 20:30 lorsque je rejoins les « Sans Facs » et leurs soutiens. On est accueilli par une demie douzaine de vigiles qui montent la garde devant l’entrée du bâtiment Grappin. Les militant.e.s forment une ligne pour protéger l’accès et les soutiens. Le bâtiment est plongé dans la pénombre et il y fait très froid. Il y a deux jours, l’électricité leur a été coupée. Plus de lumière ni de chauffage alors que les températures dehors sont négatives. Les uniques sources de lumière proviennent des signalétiques d’issue de secours et de petite lampes à piles. Cependant, l’ambiance est très chaleureuse. C’est l’heure du dîner et tout.e.s m’invitent à se joindre à eux.

Henda – Audrey M-G / @vanites_parisiennes

Je rencontre Salomé puis Henda. 18ans. Elle a obtenu son bac STO2D (bac pro) cette année. Comme ses camarades, elle a saisi ses vœux sur Parcoursup en s’orientant STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives). Elle fait de l’athlétisme (triple saut) en compétition depuis 4 ans et elle entraîne les petits de son club.


Pour sécuriser ses vœux, elle opte pour un BTS Conception des Matériaux Industriels mais elle réalise vite qu’elle ne suivra pas le cursus. Ce n’est pas l’avenir qu’elle s’est choisi. Concernant sa première demande, elle a été mise en attente tout au long du processus pour au final ne rien obtenir, l’échéance étant passée. Ainsi, pendant les vacances scolaires, elle a fait le tour de six universités en terminant par Nanterre. En se présentant au bâtiment des inscriptions, on lui refuse l’accès car il faut impérativement un rendez-vous.


Plus loin, sur le parvis, l’UNEF est là pour aider, soutenir et appuyer les dossiers des « Sans Facs ».
Aujourd’hui, Henda milite auprès d’autres « Sans Facs » en occupant le bâtiment de la Présidence. Elle me confie: « c’est un combat pour tout le monde, il faut que l’on gagne pour montrer que nous sommes unis. Il ne faut pas lâcher et se mobiliser pour pouvoir mener à bien cette lutte, c’est tout ce dont on a besoin. »

Pendant l’occupation, elle a participé à une compétition d’athlétisme où elle est arrivée deuxième.

Julia – Audrey M-G / @vanites_parisiennes

Juste après cet entretien, je rencontre Julia, 21 ans. Elle occupe la Fac depuis 50 jours. Elle est l’une des premières à avoir « testé » ce nouveau système, Parcousup, ayant obtenu son bac en 2018.
Pour son admission en L1 en psycho, tout s’est bien passé. Elle valide sa L2. Pour les master, les demandes doivent être faites en mai. Or, elle valide sa L3 de psycho en juillet à Nanterre. Tout tombe en même temps. Le stress des partiels, la pression des voeux et dossiers à constituer et à déposer, le temps qui manque. En juin, Nanterre refuse son admission. Elle fait un recours gracieux en juillet qui n’a pas été consulté. Il n’y a que 50 places dans le master demandé dans la même spécialité. Maintenant elle n’a plus rien. Il y a bien les écoles privées à hauteur de 6000€ par an mais elle veut finir à Nanterre parce que « c’est ma fac, j’aime la formations, tout est complet et j’aime ses profs malgré les grèves, le distanciel. » C’est sa seconde maison. Alors elle ne comprend pas pourquoi des personnes qui ne sont même pas concernées par son avenir le lui sabotent. Ces critères de sélection sont aberrants pour elle, qui a pourtant réussi à trouver un stage en EPADH pour parfaire ses connaissances en plein confinement.

« Malgré tous nos efforts, rien n’est fait pour nous. La sélection est basée sur du vent. Je ne comprends pas leur logique s’il y en a une ».

Cet acharnement et cette énergie qu’elle a déployée pendant 3ans, elle ne lâchera pas cette lutte malgré ce climat d’insécurité, le harcèlement et les traumatismes vécus à travers la politique répressive et passive de Mr Philippe Gervais-Lambony.

Audrey M-G / @vanites_parisiennes

7 étages plus haut (montés à pied faute d’ascenseurs), je rencontre Thierno. 22ans. Lui aussi est « Sans Facs » au sortir de sa L3 en Banque Finance Assurance. Pour son Master, il demande à Nanterre d’entrer dans une autre filière qui correspondrait mieux à son projet professionnel. Il veut être conseiller en assurance ou en économie. Le cursus en finance ne lui correspond pas. On lui refuse ce changement de filière faute de place tout en lui proposant une école CFA (école de Licence professionnelle en alternance).

Coppelia organise le planning du lendemain – Audrey M-G / @vanites_parisiennes

Ce soir, il voudrait qu’un maximum de soutiens les rejoigne dans cette lutte pour défendre leur droit d’étudier et briser cette sélection privilégiant une infime partie de la population.

Haidar – Audrey M-G / @vanites_parisiennes


À ses côtés se trouve Haidar. 21ans. Il est venu en France en 2019 après avoir été inscrit à Paris 8 dans une filière qu’il n’aimait pas, arrivant en cours de semestre. Il voulait s’orienter sur un LEA (Langues Étrangères Appliquées). On lui proposé une L1 en Géographie en attendant. Bien que sa demande de réorientation ait été faite, elle est restée sans réponse.
Ayant entendu parler de la campagne des « Sans Facs », il s’est rapproché de l’UNEF qui a pris en charge son dossier. Enfin accepté en distanciel pour le premier semestre, ce sera à partir du second qu’il pourra suivre ses cours en présentiel. Il n’est plus considéré comme un « Sans Facs » mais il a décidé d’occuper pour soutenir les camarades.

«Il faut se mobiliser pour vaincre cette sélection, pour les licences et les masters. Toutes les facs de France devraient se mobiliser pour faire changer ce système » me confie-t-il. Puis il ajoute: « On est très déterminé, on restera le temps qu’il faudra pour obtenir gain de cause. Tant que les négociations n’auront pas de réponse favorable, l’occupation tiendra. »
Pour Noël, il ne sera pas avec ses parents. Eux-même l’ont encouragé à passer les fêtes auprès des camarades: « Ce n’est pas parce que tu es inscrit qu’il faut les lâcher. Il faut lutter ensemble. » lui ont-ils dit.

Audrey M-G / @vanites_parisiennes

Le 24 Décembre, à partir de 17:30, un grand réveillon de Noël est organisé par les occupante.e.s de Nanterre qui attendent une centaine de personnes. Un véritable Noël militant comme on peut en voir tous les ans partout en France.


Malgré les coupures d’électricité, les embûches semées par l’administration de Nanterre et la répression de la sécurité, ils gardent espoir pour une présence massive de soutiens en plus des leurs dont Solidaires, Force ouvrière, La France insoumise ainsi que le Nouveau parti anticapitaliste entre autres.

Audrey M-G / @vanites_parisiennes


Le but étant de montrer à la présidence qu’il ne s’agit pas que d’un simple réveillon entre camarades mais bien d’une lutte politique qui amorcera une rentrée militante avec des dates d’actions pour 2022.

« Nous avons montré que, de notre côté, nous sommes prêts à discuter et à trouver des compromis. Ce que nous demandons, c’est que de vraies négociations s’ouvrent » en ajoutant qu’il faut «résoudre le problème de fond qui est le manque de places dans les universités. Une place pour chacun dans la fac et la filière de son choix et pour étudier dans de bonnes conditions, c’est un droit.  »

Une tribune parue le 11 novembre dans Libération pour soutenir le combat des “sans-facs” pour obtenir leur inscription à l’université de Nanterre est disponible sur en cliquant sur le lien suivant :

https://vu.fr/soutien-education-sans-facs-nanterre

Ainsi qu’une cagnotte de solidarité en cliquant sur le lien suivant :

https://www.cotizup.com/soutien-occupation-sans-fac

Audrey M-G / @vanites_parisiennes

Audrey M-G

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2 Commentaires sur “56ième jour d’occupation à la faculté de Nanterre

  1. Pingback: Décembre – Jeunesse/Education | Revue de presse Emancipation

  2. SaraD :

    “L’université de Nanterre accueille plus de 34 000 étudiant·e·s mais sa présidence refuse toujours de s’engager à inscrire les 61 Sans-Facs Les Sans-Facs ont fait une proposition de compromis: ils lèveront l’occupation si l’université s’engage à inscrire à Nanterre et dans l’immédiat 23 dossiers présentés lors du dernier rendez-vous avec Mr Philippe Gervais-Lambony (Président de l’Université de Paris-Nanterre) et à établir un calendrier de rencontres à venir afin de trouver une solution d’inscription au sein de ce campus ou ailleurs pour des dossiers restants. Proposition à ce jour restée sans réponse.” A ce jour, il ne reste qu’une vingtaine d’élève, les 23 ont donc été inscrits? et pourtant les élèves n’ont toujours pas levé l’occupation, comme dit aussi dans l’article ” elle a fait le tour de six universités en terminant par Nanterre” donc elle est refusée partout ailleurs mais à Nanterre on peut squatté les batiments donc on finit là. Rappellons que sur les 300 sans-facs initials il en reste 20! l’effort qu’a été fait par Nanterre et Gervais -Lambony n’a été fait nulle part ailleurs et pourtant il n’y a que lui que l’on attaque. Oui, les facs sont déja surchargées, des amphis à 1000 places avec 1500 élèves, des cours assis par terre, ça n’est pas nouveau! on est pas a 300 près c’est sûr et ils ont le droit d’apprendre et étudier mais à votre place je choisirai d’aller ailleurs (selon un professeur de Nanterre). Le problème est le l’autonomie des facs, le manque de moyens, de personnels, il manque 70 agents juste à l’administration comme dans toutes les administrations du coin d’ailleurs, qui démissionne ou demande des mutations année par année en partie a cause des evènements a Nanterre comme en 2018 avec une précédente occupation.

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