21 jours de trop. 300 adolescents exilés et livrés à eux-mêmes occupent une école abandonnée pour que l’Etat entende leur appel

En longeant les grilles de l’école rue Erlanger, dans le 16e arrondissement de Paris, on peut entendre les cris joyeux d’enfants jouant dans la cour par une belle après-midi de printemps. Qui pourrait deviner qu’il s’agit d’une école abandonnée où plus de 300 Mineurs Non Accompagnés (MNA) sortis de la rue l’occupent, sous la responsabilité des associations Utopia56, La Timmy, Les Midis du Mie et du Centre Tara, depuis maintenant 3 semaines. 

Les salles de classe de l’école abandonnée de la rue Erlanger servent d’abri précaire aux plus de 300 jeunes mineurs exilés qui l’occupent depuis 3 semaines. Le 21 avril 2023. (© Audrey M-G pour Les Répliques)

Âgés entre 14 et 17 ans, d’origine subsaharienne pour la grande majorité, ces jeunes garçons erraient depuis des mois dans les rues parisiennes et en proche banlieue. Il leur était impossible d’y installer une tente pour une nuit ou plus, chassés brutalement et systématiquement dispersés par les forces de l’ordre dans cette logique préfectorale du « zéro point de fixation ». La violence de la rue, le harcèlement policier, la confiscation de matériel de survie distribué par les associations, la faim et le froid constituaient leur quotidien. 

Le 4 Avril 2023, les associations décident d’investir ce bâtiment désaffecté afin de les regrouper et de mettre en lumière les conditions dans lesquelles la France les abandonne mais surtout pour mettre l’État face à sa défaillance quant à leur protection et leur prise en charge digne et pérenne comme il le doit. Sans reconnaissance de minorité de la part des juges de l’enfance, l’État les prive de leurs droits les plus fondamentaux, les poussant ainsi à l’errance et l’exclusion. Le principe de “présomption de minorité » (reposant sur l’article 388 du code civil, “le doute profite à l’intéressé”), que les associations veulent voir inscrite dans la loi par cette action, garantirait une protection aux mineurs isolés jusqu’à la fin de leurs recours.

À 21:30, ils ont ainsi posé leur sac à dos dans ces anciennes salles de classe, attendant sur les bancs de la cour de récréation des couvertures pour passer la nuit. Ces bancs qu’ils rêvent de rejoindre prochainement comme tout enfant de leur âge. 

« Je voudrais juste aller à l’école et avoir une vie normale comme tous les gens de mon âge. Ne plus avoir à dormir dans la rue et m’intégrer comme il faut à la France » nous confie A. 16 ans, d’origine malienne.

Installation des Mineurs Non Accompagnés, le 4 Avril 2023. Depuis 3 semaines, plus de 300 jeunes mineurs exilés survivent sans eau courante ni électricité. (©Audrey M-G pour Les Répliques)

Les associations œuvrent quotidiennement et sans relâche pour apporter à ces jeunes le minimum vital et leur rendre leur dignité pour palier au manquement et à l’ignorance de l’État et ne cessent de demander une mise à l’abri aux autorités compétentes qui font la sourde oreille. Sans eau courante ni électricité, des sanitaires de fortune et un générateur délivrant du courant pour la journée ont été installés. Dans les salles de classe, des cartons posés au sol font office de matelas, des tentes servent à délimiter tant bien que mal des chambres. Chacun.e y met du sien pour rendre les lieux vivables et le moins insalubre possible malgré les faux plafonds éventrés et les vitres brisées. Les bénévoles se relaient jour et nuit pour veiller sur eux et pour les encourager à ne pas perdre espoir malgré l’ennui, l’attente et des conditions de (sur)-vie difficiles. Un travail titanesque qui demande une abnégation et un engagement exemplaires grâce auxquels une formidable chaîne de solidarité associative et citoyenne s’est construite. Du fait de leur présence et en les accompagnant chaque jour, les jeunes bénéficient d’un soutien moral, matériel et juridique mais aussi des prises en charge médicale, des activités pluridisciplinaires et des cours de français entre autres. Entre deux sorties et une charge de téléphone, ils se découvrent de nouveaux talents qu’ils affichent fièrement. Les espoirs, les souvenirs, les aspirations font maintenant parler les murs. 

Les journées dans l’école sont rythmées par des activités artistiques, des permanences de soins et les distributions de nourriture toutes pourvues bénévolement par des associations parisiennes et des citoyennes et citoyens solidaires. Le 16 avril 2023 (©Audrey M-G pour Les Répliques)

Un jeune MNA (Mineur Non Accompagné) profite de la journée pour faire le ménage et ranger sa « chambre » partagée avec 10 autres adolescents de son âge. Le 19 avril 2023. Un jeune MNA fait son ablution pour la prière pendant le Ramadan. Le 5 avril 2023 (©Audrey M-G pour Les Répliques)

Cette action humaniste est dans toutes les conversations dans le 16ème arrondissement de Paris. Loin de faire l’unanimité et bien qu’approuvée par le maire de l’arrondissement, elle est largement décriée et pointée du doigt par le voisinage qui ne se prive pas de faire appel aux forces de l’ordre au moindre bruit. À cela s’ajoute une menace plus sérieuse. Celle de l’extrême droite qui n’hésite pas non plus à faire connaître son hostilité. Dans la soirée du 16 Avril 2023, le collectif d’extrême-droite Némésis a investi l’entrée de l’école pour déverser leur haine et des propos racistes et xénophobes. Une énième tentative d’intimidation depuis le début de l’action. Harcèlement des riverains, menaces verbales des passants, saccage et vol des banderoles des associations, distribution de tracts « Ici, des associations dites « humanitaires » œuvrent à l’immigration islamique » et enfin collage d’affiches à l’effigie d’Eric Zemmour et de son parti Reconquête, sans parler des lettres ouvertes et des pétitions qui circulent pour mettre fin à l’occupation.

Une situation alarmante que plusieurs députés de la gauche ont pu rendre compte en visitant les lieux et dont ils s’indignent également. Ainsi, le jour même de l’Eid marquant la fin du Ramadan, les députés Danièle Obono, Rodrigo Arenas, Aymeric Caron, Sophia Chikirou, Sarah Legrain, Danielle Simonnet, Sandrine Rousseau, Eva Sas et Laurent Sorel ont publié un communiqué pour appeler le préfet de région à organiser le plus rapidement possible la mise à l’abri de ces plus de 300 jeunes et au préfet de police de Paris de garantir leur sécurité d’ici à cette mise à l’abri.

Les Ministères du Logement, de Solidarités et de l’Intérieur ont aussi été rappelés à leur devoir de protection de l’enfance et à intervenir dans les plus courts délais pour trouver une solution digne. Un soutien fort et notable sur lequel les associations peuvent s’appuyer.

Profitant du soleil, les Barbers de l’association Wilson Barbers sont venus rafraîchir les coupes. Le 9 Avril 2023. Pour marquer l’Eid, la fin du Ramadan, les fleuristes de Yildun ont confectionné des compositions florales avec leurs jeunes. Grâce à cet atelier, certains jeunes y ont trouvé une nouvelle vocation. Le 21 Avril 2023. (©Audrey M-G pour Les Répliques)

À l’heure à laquelle sont publiées ces lignes, malgré le constat de la mairie de Paris quant à l’insalubrité et la dangerosité du lieu inoccupé depuis 4 ans, l’État, la préfecture d’Ile-de-France ainsi que la secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Madame Charlotte Caubel, restent sourds à ces alertes, refusant alors de porter assistance à ces jeunes dans une situation d’extrême précarité, dédaignant par la même leur dignité et leurs besoins particuliers. 

Pour rappel, selon l’article L. 112-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), la protection de l’enfance « vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ».

Le 4 Avril 2023. Premier soir de l’occupation de l’école. Sur les grilles, la banderole d’Utopia56 qui depuis a été saccagée puis arrachée par des groupuscules de l’extrême droite. (©Audrey M-G pour Les Répliques)

Audrey M-G

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